C’est le grand jour. Les électeurs français sont appelés aux urnes ce dimanche 10 avril 2022 pour le premier tour de l’élection présidentielle. Les Français ont le choix entre 12 candidats… mais le taux d’abstention pourrait une fois encore atteindre un record, alors que la campagne n’a jamais vraiment décollé, et que les bombes continuent de pleuvoir sur l’Ukraine, à l’Est de l’Europe.
Paul Bacot est professeur émérite de Sciences Politiques à Lyon. Il a récemment écrit « Les mots de l’élection présidentielle sous la Cinquième République ».
Chérie FM : Que vous inspire cette campagne présidentielle 2022 ?
Paul Bacot : « Comme à tout le monde, c’est un sentiment de bizarrerie puisque on a l’impression que les gens ne sont pas mobilisés. Il n’y a pas « l’ambiance » qu’on connaît d’habitude dans les jours qui précèdent un premier tour d’élection présidentielle. C’est donc une atmosphère assez particulière, due sans doute à la guerre d’Ukraine, due sans doute au fait que le Président sortant se représente, due à un certain nombre d’autres événements, ou d’autres évolutions plus lentes et plus anciennes. Toujours est il que l’on est effectivement dans une grande incertitude. Ce n’est pas nouveau que les électeurs se décident assez tardivement. Ça fait plusieurs décennies qu’on repère le phénomène, mais il semble que cette année ce soit particulièrement vrai et cela contribue à rendre très imprévisible le résultat du premier tour ».
Selon les enquêtes d’opinion, 12 millions de personnes étaient encore indécises il y a quelques jours. Peut-on imaginer que cette indécision, et le fait que les gens se décident au dernier moment, fausse ou fasse mentir les sondages ?
« Cela ne les fera pas mentir puisque ce sont précisément les sondages qui nous disent qu’il y a beaucoup de gens qui hésitent jusqu’au dernier moment ! Donc quel que soit le résultat, cela ne changera rien à la réalité des choses. Au contraire, effectivement, il y a d’une part l’hésitation entre la participation et l’abstention. Et puis, pour ceux qui vont aller voter, il y a une hésitation sur le choix du candidat. Donc effectivement, il faut s’attendre, je ne dirais pas à tout, mais il y a plusieurs scénarios possibles, c’est clair ».
On entend beaucoup que le taux d’abstention pourrait être voisin de celui de la présidentielle en 2002, donc très élevé. Est-ce une fatalité?
« Il y a effectivement eu une évolution sur la très longue durée depuis plusieurs décennies, qui va dans le sens d’une augmentation de l’abstention. C’est très compliqué à analyser parce qu’il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu et ça rend les prévisions pour la suite, de ce point de vue là, assez difficiles. Par exemple, on a une confirmation d’une forte abstention probable chez les plus jeunes. C’est un phénomène récurrent bien connu : c’est toujours les jeunes, les catégories dite populaires, les moins instruits, les moins riches qui s’abstiennent le plus. Mais est-ce qu’il n’y aurait pas, en plus de l’effet d’âge, un effet de génération ? Si c’est un effet de génération, ça veut dire que cette jeunesse d’aujourd’hui continuera en vieillissant à s’abstenir beaucoup, ce qui évidemment aurait des conséquences importantes. Mais là, pour le moment, on ne peut pas savoir si ce sont des phénomènes classiques de l’abstention des jeunes, liés à une conjoncture particulière qui accroît le phénomène ».
Cela traduit-il une distance de plus en plus grande entre entre les hommes politiques et la population, en particulier les jeunes? Cela doit-il induire une remise en question aussi de la part des hommes et des femmes politiques?
« C’est ce que l’on dit, et c’est ce que montrent d’une certaine façon pas mal d’enquêtes depuis pas mal de temps : une certaine distance, une certaine perte de confiance, pas seulement dans les hommes et les femmes politiques, mais dans tout ce qu’on pourrait appeler au sens très large et très flou les « élites ». Tous ceux qui, jusqu’ici, jouissaient d’une certaine autorité et dont la parole jouissait d’une certaine autorité, semblent aujourd’hui, « concurrencés », notamment par une parole complètement débridée, non filtrée, qu’on trouve sur ce qu’il est convenu d’appeler les réseaux sociaux ».
Ces réseaux sociaux ont fait beaucoup évoluer la manière de faire de la politique et la manière dont les gens regardent la vie politique. On a l’impression que la campagne se joue plutôt sur la forme que sur le fond…
« Oui et non, ce n’est pas vraiment nouveau. De toute manière, depuis le début, il y a une jonction totale entre l’histoire de la télévision et l’histoire de la présidentielle en France. C’est dans les années 60 que les Français acquièrent progressivement et regardent de plus en plus la télévision. Et c’est dans les années 60, qu’on a les deux premiers scrutins présidentiels au suffrage universel direct. Et depuis, les deux choses sont étroitement liés : télévision, présidentielle, et j’ajoute les sondages parce que c’est la même histoire, le même calendrier. La présentation du candidat, la façon de parler, la façon de s’habiller, la façon de se tenir à la télévision, c’est ce qu’on appelle l’américanisation de la vie politique. Donc ce n’est pas nouveau ».
Retrouvez l’intégralité de l’interview de Paul Bacot, au micro de Guillaume Sockeel
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